mardi 15 juin 2010

Amae, pulsion de dépendance


甘え
L’Amae, terme sans équivalent linguistique, dérive du verbe amaeru, qui signifie « se prévaloir de l’amour de quelqu’un ». Dans le langage enfantin, le mot amae veut dire doux, sucré. Dans le langage moderne, le mot renvoie à une multitude d’images d’animaux familiers, avec le sens affectif de « trop gâté »… Il s’agit en fait d’un concept dominant le système social japonais, essentiel pour comprendre une des grandes spécificités de leur personnalité : le besoin de dépendance affective.

Relation mère-enfant
La relation d’amae existe dans toutes les civilisations, d’ailleurs décrite par Freud sous le terme de « pulsion de dépendance » ; elle représente la relation mère-enfant, répliquée en mari-épouse, maître-disciple, médecin-malade, etc… C’est une relation non réciproque, asymétrique, où il n’est jamais question d’égalité : -d’un côté une soumission, un consentement, -de l’autre une protection, un statut sécurisant.
Ainsi, lorsqu’on dit de A qu’il est amae envers B, cela signifie qu’il l’autorise à profiter de son indulgence et à compter sur les liens privilégiés qui les unissent.

Ce qui est unique au Japon, c’est que ce sentiment n’est pas réservé aux enfants, mais que c’est la société toute entière qui baigne dans une atmosphère d’amae.

Giri monde de la dette et du devoir, et tanin monde étranger
L’amae représente le premier cercle d’intimité et d’intériorité de l’individu, dans tout son affect. Autour, un deuxième cercle est celui du Giri. C’est un monde de réciprocité, de dettes et de devoirs ; on y échange des services, et pas question de supporter un manque. Tout se paye et s’il n’est pas possible de payer, c’est la culpabilité, la honte voire le seppuku (suicide).
Au-delà, il y a encore un autre cercle, encore plus froid, celui de tanin, l’étranger, au sens le plus poussé, celui d’Albert Camus. Dans une relation de type tanin, le japonais adopte une attitude froide, extrêmement réservée, que les occidentaux peuvent interpréter, à tort, comme hautaine, ou indifférente, ou timide… en tout cas peu « chaleureuse ».

Créer une relation personnelle
Il est fréquent d’entendre un occidental ayant passé plus de dix ou vingt ans au Japon déclarer sa frustration : plus je suis en contact avec les japonais, moins je les comprends ! La raison est qu’un japonais ne se sent pas à l’aise avec un étranger tant qu’il n’a pas réussi à établir avec lui une relation de type amae. Développer ce type de relation est un challenge pour l’homme d’affaire ; il va devoir prendre soin d’établir une relation personnelle très forte, avant de vouloir en tirer des bénéfices sur le plan professionnel. Cela implique de partager des repas, des loisirs, de boire ensemble, de participer aux différents évènements familiaux : mariage, décès…
Une relation de type amae requiert de créer des expériences communes, des valeurs communes, des craintes communes.

hadakano tsukiai : l’amitié toute nue
Un rituel d’amitié, assez déconcertant pour un occidental, consiste à se faire inviter à partager un bain chaud (très chaud !). Ca se pratique en famille, entre collègues. C’est une manière de créer une relation « à nu » au sens propre comme figuré. Contrairement à nos pays, on ne se lave pas dans le bain, on s’y relaxe. Les japonais se récurrent pendant de longues minutes avant d’entrer dans le bain. La plupart des ryokans sont équipés de ces bains appelés onsen, alimentés par des sources thermiques, aux multiples vertus. A propos de vertu, si vous allez seul dans un Ryokan (voir fiche xxx), ne vous trompez pas de porte : l’une porte la mention女(ona, femme) l’autre la mention男 (otoko, homme)… les japonaises n’ont aucun sens de l’humour sur ce sujet là !

Moments-clés

Une histoire tirée du Botchan de Natsume Söseki vient illustrer la différence de comportement d’un japonais, selon qu’il se situe dans la sphère giri ou d’amae :
Yama Arashi fût l’un des premiers à m’offrir une glace à mon arrivée. Quel affront à ma fierté d’avoir accepté ne fut-ce qu’une glace d’un fourbe pareil ! Comme je n’en ai pris qu’une seule, il n’a pas dû payer plus d’un sen et demi. Dès demain à l’école je lui rendrai ses un sen et demi.
Une fois j’ai emprunté trois sen à Kiyo. Il y a déjà cinq ans de cela et je ne l’ai toujours pas remboursée. Ce n’est pas que je sois dans l’impossibilité de le faire, mais Kiyo ne compte nullement que je la rembourse tout de suite, et pour ma part, je n’ai aucune intention de la rembourser immédiatement, comme si c’était une étrangère.
C’est faire une faveur à quelqu’un qui n’est pas un parent ou un proche que d’accepter une faveur de sa part et de ne pas lui rendre : c’est une façon de lui montrer qu’il compte autant pour vous qu’un intime.

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