mercredi 16 juin 2010

Mokusatsu, le silence qui tue !


黙殺 Le silence est éloquent…


D’une façon générale, le japonais est réservé ; il ne pose pas d’affirmations péremptoires, argumente peu et au final, parle beaucoup moins que nous. Un peuple « taiseux » dirait-on dans nos campagnes. Lorsqu’un enfant a la langue trop bien pendue, il se fait gronder ; les adultes trop bavards ou trop enclins à exprimer leurs sentiments sont également considérés comme impudiques, vulgaires, impolis, arrogants et sont méprisés. D’une façon générale, trop parler est assimilé à un manque de sincérité. Et si l’on parle, l’usage de métaphores, d’euphémismes et des pauses, fait partie des bonnes manières.

Des silences bien pesés dans une conversation, véritable rhétorique théâtrale, donnent un poids considérable aux propos, ou au contraire permettent d’adopter une position d’attente, laissant d’abord les autres dévoiler leur points-de-vue.
Lorsqu’on ne peut vraiment pas se taire, alors on préfèrera parler « de la pluie et du beau temps », de la santé de la famille, et de toute cette série de « préliminaires courtois et ennuyeux » communs à toutes les cultures, plutôt que d’aborder des sujets sensibles, réservés à la sphère d’intimité.

…et le temps est circulaire
Il est probable que cette gestion du silence dans la communication est liée à une conception du temps complètement différente dans la culture japonaise. Autant le temps est considéré par les occidentaux comme quelque chose de linéaire, qui avance inexorablement, qui ne s’arrête jamais, et qui engendre une angoisse permanente que « le temps perdu ne se rattrape jamais », autant le japonais a une conception circulaire du temps, un mouvement lent qui repasse régulièrement au même endroit. La plupart des arts japonais intègrent cette capacité à « suspendre le temps », pour capturer l’essence même de la Vie, l’intemporalité de la nature…
On retrouve cette suspension du temps dans les arts martiaux, où deux combattants peuvent se regarder intensément pendant de longues secondes, engageant ainsi une sorte de combat mental invisible et immobile ; il est même arrivé qu’après ces longs instants, l’un des deux combattants s’incline avant même d'avoir combattu, admettant une inexorable défaite lue dans les yeux de son adversaire.
Au théâtre Nô et Kabuki également, l’acteur suspend son geste (miiye) pendant quelques secondes, pour en accroître l’intensité.

Tuer par le silence
L’art du silence est également pratiqué dans les négociations d’affaires importantes. La personne peut s’arrêter de parler, rester assis, les yeux fermés pendant de très longues secondes, puis quitter la pièce, voire même démarrer une conversation à voix basse avec son voisin sur un tout autre sujet. Cela s’appelle « mokusatsu » qui veut dire littéralement « tuer par le silence » ! Il s’agit effectivement de laisser la proposition de l’autre partie s’éteindre dans un vide total, comme une bougie privée d’oxygène. Eduqués dans cette culture, les japonais sont très à l’aise dans le silence, le non-dit, dans l’anticipation des attentes implicites de leurs collègues.

Langage riche en contexte
Comme la langue française, le langage japonais est riche en contexte : le message ne se limite pas aux mots, il intègre de multiples dimensions non verbales (voir chap xx. sur la communication non-verbale), des allusions implicites et des sous-entendus, des formes métaphoriques et rhétoriques, voire des ambiguïtés dont le sens ne peut être levé que par le contexte, par une connaissance intime de la personne elle-même ou par d’imperceptibles inflexions du ton ou du visage. Comme pour la langue française, cette complexité engendre un risque permanent de malentendu, obligeant les personnes à situer la communication sur le plan de la relation, et non du contenu.

Moments-clés : Hiroshima aurait-elle été déclenchée par une mauvaise traduction ?

Mokusatsu est un verbe qui se compose deux kanjis : 黙 (moku, litt. « silence ») et 殺 (satsu, litt. « tuer ») et qui peut signifier soit « opposer une fin de non-recevoir » soit « s'abstenir de tout commentaire », soit « passer quelque chose sous silence » soit « traiter quelque chose par le mépris ».

Le 27 juillet 1945, le premier ministre Kantaro Suzuki, dans une conférence de presse, utilise le mot « Mokusatsu » pour définir la position de son gouvernement en réponse à l'ultimatum lancé par les Alliés lors de la conférence de Potsdam. Rappelons que les Alliés menaçaient le Japon d'une destruction rapide et totale s'il n'acceptait pas la capitulation sans conditions.
Ce mot est rapporté par la rédaction du Asahi Shinbun, le grand journal japonais, dès le lendemain dans son édition du matin.
Était-ce d'abord pour des raisons de politique intérieure que Kantarō Suzuki employa le vocable mokusatsu, afin de calmer les ardeurs des militaires, farouchement opposés à toute idée de capitulation ?
Répondait-il au contraire aux Alliés en des termes « plus diplomatiques » avec la deuxième acception ? Jouait-il sur l'ambiguïté ? On ne le saura probablement jamais.
Ce qu’on sait, c’est que les agences internationales de presse traduisirent ce vocable comme une fin de non-recevoir, ce qui déclencha immédiatement la suite : prise de décision par le président Harry Truman de larguer la bombe atomique sur Hiroshima, le 6 août 1945, puis trois jours plus tard sur Nagasaki.

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